RP Maroc

L’entrepreneuriat féminin dans le secteur de l’agriculture biologique en France et au Maroc

Deux regards sur la place des femmes entrepreneur(e)s dans l’agriculture biologique

Enquête réalisée par : Sabrina SERRES, Edwige BOUTET et Emmanuel BACHELIER, étudiants en licence professionnelle Agriculture Biologique Conseil et Développement de l’Université Blaise Pascal de Clermont-Ferrand sur le site d’INEOPOLE à Brens(81).

Interviews d’entreprises et de coopératives marocaines lors du salon Biofach 2017

La 23ème édition du salon international de l’agriculture biologique Biofach, s’est tenue à Nuremberg en Allemagne du 15 au 18 février 2017. En rassemblant plus de 2.300 exposants qui présentent l’offre internationale sur 8 halls différents, il est le plus grand salon sur la bio au monde dédié à l’Alimentation Bio, à la Cosmétique Naturelle et aux Produits de soins Bio. Mélangeant professionnels de la bio mais aussi associations et instances politiques, Biofach est une véritable fenêtre ouverte sur le monde de la bio, ses enjeux et ses innovations.

A l’occasion d’un projet de communication portant sur le thème de l’entrepreneuriat au féminin dans le secteur du bio, réalisé dans le cadre de la licence professionnelle en Agriculture Biologique Conseil et Développement dispensé par l’Université de Clermont-Ferrand, nous sommes partis à la rencontre de plusieurs entreprises internationales pour recueillir leur témoignage lors de ce salon.

Nous avons rencontré une entreprise et deux coopératives féminines :

Ces trois structures proposent des produits alimentaires issus d’un savoir-faire artisanal. Ils les commercialisent dans les pays de l’Union Européenne, le Canada, Australie, les États-Unis, la Pologne et dans leurs propres pays respectifs.

Les coopératives féminines Marocaines Tifaout et Tighanimine Filahia, basées sur le principe de solidarité entre femmes en milieu rural, donnent accès à leurs membres à l’alphabétisation, l’instruction et la formation. Cette activité professionnelle hors du foyer, permet à ses membres d’évoluer dans une organisation juridique et démocratique (une assemblée générale avec une réélection du bureau se fait chaque année) et bien sûr d’avoir un revenu issu de leur travail, améliorant par là même leurs conditions sociales. Pour finir, de par leurs pratiques ancestrales et leur savoir-faire, ces coopératives préservent l’arganier, symbole de la biodiversité et arbre endémique du sud du Maroc.

Durant notre entretien au salon Biofach , les coopératives féminines de Tifaout et celle de Tighanimine Filahia nous ont montré une image de femmes porteuses de projets dynamisant l’économie locale et de femmes autonomes, investies socialement et cherchant à valoriser leur image nationale et internationale.

Les projets de coopératives, grâce à l’existence de nombreux organismes de financement, peuvent être pérennisés et donc, commercialiser leur production dans de bonnes conditions. La coopérative féminine de Tighanimine Filahia a bénéficié de divers financements :

La coopérative féminine de Tifaout a quant à elle :

Pour ce qui est de la SARL Faylal bio, géré par un homme d’affaires à la retraite Monsieur EL KHAMIS Mohamed, elle propose à diverses coopératives comme celle de Tifaout, de se rassembler afin de faciliter et de développer l’activité économique de chacune tout en conservant leur indépendance. Elle sert de relais aux coopératives féminines de la région de Taroudant en apportant un soutien logistique, du matériel, un lieu et un savoir faire (compétences en gestion, en commercial, sur des règles d’hygiène …) afin d’améliorer la mise en valeur de leurs productions. La société Faylal bio collabore actuellement avec 4 coopératives regroupant environ 170 membres au total.

Si le concept de coopératives féminines séduit à bien des égards, il reste des obstacles selon Soufiane ALHYANE , fils de la fondatrice de la coopérative agricole de TIFAOUT. En effet la société marocaine, masculine et patriarcale, peut montrer des réticences dans la création de lieux de rencontre et d’activité destinés aux femmes en dehors du foyer. Cependant il note un changement progressif des mentalités et la société marocaine, par ces coopératives, peut s’enorgueillir de participer à une dynamique de territoire, tout en créant de l’économie et une véritable valeur ajoutée pour le Pays.

Cette idée est confirmée par Nadia FATMI, présidente de la coopérative de Tighanimine Filahia : «cela n’a pas été évident pour elles car sur les 170 femmes intéressées par les cours d’alphabétisation, seulement 22 ont pu se lancer dans l’aventure. Les difficultés furent de tous ordres, mais la plus importante reste le refus des pères ou des maris de les voir exercer une activité professionnelle extérieure au foyer». Malgré tout, grâce à leur courage, le nombre de leurs membres ne cesse d’augmenter au cours des années, passant de 22 à l’origine à 68 femmes en 2017.

Le dernier obstacle selon KHAMIS MOHAMED, gérant de la société Faylal bio, découle du manque de compétences au niveau gestion et commerce qui, s’ajoutant aux difficultés de lecture et d’écriture de ces femmes, rendent difficiles la planification de leur activité et le travail indispensable de communication et de vente.

Pourquoi la bio ?

Faylal bio a choisi la labellisation bio pour la visibilité que peut apporter le label sur le marché international, la crédibilité et la qualité qu’apporte le mode de culture et de transformation biologique au produit final.

La coopérative de Tifaout valorise ses produits à travers 3 labels de qualité : ONSSA (Office National de Sécurité Sanitaire des produits Alimentaires), IGP du Maroc (Indication géographique Protégé) et AB (Agriculture Biologique). Les femmes de cette coopérative sont attachées aux valeurs du bio car il leur offre une image positive du produit qu’elles fabriquent, dans le respect d’une agriculture paysanne et des traditions ancestrales, avec des possibilités d’ouvertures et de croissances inhérentes au marché bio et une crédibilité supplémentaire vis-à-vis de leurs clients.

La coopérative Tighanimine Filahia quant à elle, sera la première coopérative à adhérer à un programme de commerce équitable et à obtenir la certification FAIRTRADE. L’ensemble de ses produits et de la transformation sont soumis à plusieurs labels comme ONSSA, IGP Maroc, AB et Slow Food, preuve manifeste de leur investissement et de leurs soucis d’offrir aux clients un produit de haute qualité dans le respect de leur environnement. En 2012 elle gagne le concours de la Meilleure initiative économique sociale au Maroc et en 2013, obtient le premier prix de « family producer » dans les pays arabes. Enfin en 2014, elle gagne le prix des produits locaux organisé par le ministère de l’agriculture et de la pêche.

En conclusion, tandis que l’entrepreneuriat féminin constitue en premier lieu, une double réponse économique et sociale, la femme acquiert par son biais, une identité sociale et professionnelle pouvant combler ses aspirations. Si ces femmes ne sont pas représentatives de la population féminine dans sa totalité, elles expriment au moins un modèle social de plus en plus attrayant pour leurs semblables. Elles concrétisent leurs espérances et font évoluer la relation à l’homme, à la famille et la position féminine dans la société. En bref, ces femmes n’entreprennent pas uniquement au sens économique, mais elles agissent surtout sur leur vie sociale et sur celle des femmes qui les entourent avec des valeurs de haute qualité chère à la bio.

Focus sur l’entrepreneuriat féminin dans le bio en France :

La société française est encore fortement marquée par les inégalités entre les femmes et les hommes en termes d’accès au travail, de rémunération ou de secteur d’activité. Aujourd’hui, tous secteurs confondus, l’Observatoire des inégalitésiv note que la rémunération des femmes reste inférieure de 23% pour une fonction équivalente. De la même manière, plus le salaire est élevé, plus l’écart de rémunération se creuse (de -8% pour les salaires les plus bas à -35% pour les plus élevés).

De nombreuses initiatives voient le jour afin de réduire cet état de fait que ce soit au niveau :

L’objet de notre enquête va se centrer sur l’entrepreneuriat féminin dans le secteur agricole et plus particulièrement dans le secteur du bio. Pour cela nous avons réalisé un questionnaire que nous avons adressé à une vingtaine d’exploitations agricoles bio, entreprises de transformation ou de commercialisation dans le secteur du bio dirigées par des femmes. Nous nous appuierons sur les résultats de cette enquête et sur les études existantes sur le sujet. Plusieurs constats et plusieurs hypothèses se font jours. Les femmes sont proportionnellement légèrement plus nombreuses dans l’agriculture biologique et les produits sous signes de qualité que dans l’agriculture conventionnelle. De la même manière, elles sont plus engagées dans la qualité alimentaire et la préservation de leur environnementv.

En France, un quart des exploitations agricoles (conventionnelles et biologiques) étaient dirigées par des femmes en 2010 alors qu’elles n’étaient que 8% dans les années 1970. De la même manière la part des filles dans l’enseignement agricole est aussi en progression. De plus, la variété des parcours professionnels de ces dernières sont souvent plus variés que celle des hommesvi. Enfin, comme le souligne Michèle SALMONAvii, durant les cinquante dernières années, les femmes sont pour une part d’entre elles bien plus en pointe des mouvements d’idées en matière de développement durable et soutiennent plus fortement des modes d’organisation originaux basés sur une solidarité étroite avec les associations de consommateurs, et l’expérimentation des choix techniques et économiques. A ce titre, elles jouent un rôle clé dans l’acceptation sociale de l’agriculture, l’innovation, le rapport entre alimentation et santé, estime encore le sociologue Roger LE GUENviii.

Plus récemment, en 2014, WECF Franceix a travaillé en partenariat avec Béatrix Vérillaud et dix organisations de l’enseignement, du développement agricole et rural, et de la recherche, pour analyser comment les femmes contribuent à faire évoluer les métiers agricoles. Diversifier les activités, les modes de commercialisation ; diminuer la pénibilité du métier ; ouvrir l’agriculture sur le territoire et les problématiques environnementales ; développer des projets agricoles porteurs de sens et de valeurs ; revoir l’organisation du travail sur les fermes pour mieux s’intégrer socialement … telles sont les évolutions auxquelles travaillent les femmes qui sont de plus en plus nombreuses dans ces métiers.

L’étude CARMAx met en lumière les évolutions des systèmes agricoles et le renouvellement des emplois en agriculture, à partir de la place et du rôle des femmes dans le changement et l’adaptation des pratiques agricoles (techniques, économiques, organisationnelles, sociales).

Concernant les freins identifiés quant aux difficultés pour une femme d’être à la tête d’une exploitation agricole, ¾ soulignent que c’est une difficulté avérée pour trois raisons principales :

Au-delà des freins identifiés, ce que nous constatons c’est l’intégration des différences de comportements et d’appréhension de l’activité agricole selon que l’on est une femme ou un homme. Ces différences de comportements sont liées aux rôles assignés à chacun dans le ménage agricole. Dès lors que les femmes sortent du rôle traditionnel de conjointe d’exploitant agricole, les pratiques et organisations sont durablement modifiées, comme le précise Laure qui constate « Une certaine sensibilité chez les femmes qui permet d’avoir une autre vision dans l’entrepreneuriat dans le secteur bio ». Ou Mariexiii, qui souligne avec humour, concernant la perception qu’ont les hommes des femmes exploitantes agricoles, « On n’est pas perçus de la même manière : c’est un avantage et un inconvénient. Il n’y a pas de concurrence avec les autres hommes, ils sont plus tolérants avec nos erreurs de débutantes mais il faut être volontaire, s’imposer un peu et avoir de l’humour face à certaines plaisanteries » !

Enfin, et comme le précise Marie : « Ce que je trouve difficile, c’est de ne pas reproduire le système qu’on nous a inculqué : c’est rassurant de faire comme maman ou comme mamie, on sait le faire, on est socialement, dans notre tête, à notre place. Par contre, aller conduire le tracteur, c’est sortir d’habitudes intégrées par l’éducation et les formatages sociétaux qui nous touchent toutes et tous, qu’on le veuille ou non dans notre inconscient. Je pense que les hommes peuvent jouer un grand rôle dans cette émancipation. Si mon compagnon me dit « il faudrait que je m’occupe des papiers aujourd’hui », je vais lui répondre « ok, c’est bon pour moi, je vais faucher ». C’est un équilibre de travail qui se fait à deux ».

Pour conclure, s’il est difficile de réaliser des comparaisons sur la place des femmes dans les pratiques agricoles entre deux pays culturellement, politiquement et socialement aussi différent que le Maroc et la France, nous pouvons constater quelques éléments de convergence.

En particulier, les places des femmes exploitantes agricoles font évoluer la relation femme-homme, mais aussi leur position et leur rôle par rapport à la famille, et plus généralement la position féminine dans la société.

Au-delà, ce sont les pratiques agricoles qui sont amenées à évoluer avec l’implication timide mais croissante des femmes dans la gestion d’exploitations agricoles, en particulier dans le secteur biologique, secteur propice à l’innovation et au développement de modes de gestion différents et alternatifs.

Si le chemin vers une égalité « réelle » est encore long, de nombreuses évolutions sont en cours, et le secteur du bio est un incubateur riche et prolixe en nouvelles initiatives propices à une meilleure prise en compte des sujets liés à l’égalité femme-homme.

Contacts :

Un lien de présentation de la Licence professionnelle Agriculture Biologique Conseil et Développement : http://www.licence-pro-abcd.fr/

i www.faylal-bio.com
ii producteursdeterroir.com/agences/cooperative-tifaout
iii www.supernova-annuaire.fr/cooperative-tighanimine-filahia-dargan
iv www.inegalites.fr
v Csa/Agence BIO, baromètre de consommation et de perception des produits biologiques en France, édition 2011
vi Centre d’Etudes et de Prospective n°38 – mars 2012 – « les femmes dans le monde agricole »
vii Salmona M., « Des paysannes en France : Violences, ruses et résistances », Les Cahiers du genre, 2003.
viii Le Guen R., Communication au Congrès « Femmes de la terre et de la mer », 2012.
ix http://www.femmes-rurales.wecf.eu/etude-carma-contribution-des-agricultrices-au-renouvellement-des-metiers-agricoles/
x Contribution des Agricultrices au Renouvellement des Métiers Agricoles
xi Sécurité sociale agricole
xii Laure SOULIE – Lariscadou – GENERVILLE(11)
xiii Marie BOYEUX – GAEC des graines dans le vent – Puylaurens(81) – https://www.kisskissbankbank.com/des-graines-dans-le-vent