“Si tu voyais son cœur” Le premier film de Joan Chemla a du mal à convaincre

“Si tu voyais son cœur” Le premier film de Joan Chemla a du mal à convaincre
Premier long métrage de Joan Chemla, “Si tu voyais son cœur” repose sur la présence de Gael García Bernal (“Babel”, “No”, “Neruda”…). Sans lui, le film ne se serait sans doute pas fait. S’il reflète une belle maîtrise technique, comme peut l’être celui d’une étudiante de cinéma, réalisatrice de courts-métrages, le passage au long est moins convaincant.
Joan Chemla met en scène une belle introduction. Un mariage qui rappelle le Michael Cimino de “Voyage au bout de l’enfer”, en plus concis. On sent l’hommage. Comme celui à Ferrara, dans le thème de la rédemption, de ce petit malfrat englué dans son milieu, qui trouvera la lumière dans l’amour pour une paumée à son image. Leur arrestation en fuite renvoie à “Tess” de Polanski. On pourrait citer Gus Van Sant ou Jarmusch dans les personnages sortis de l’enfance et le cosmopolitisme ambiant…
Le traitement de l’image lorgne du côté du réalisme poétique français des années 30, avec son pessimisme social (“Quai des brumes”, “Le Jour se lève”, “Pépé le Moko”…) Ces sources sont actualisées avec le thème des migrants, mais l’on n’est pas chez Aki Kaurusmäki chez qui pointent toujours l’humour et l’espoir. Si l’on devine être en France, le mariage est de couleur sud-américaine avec des teintes tziganes, l’hôtel s’appelle “Métropole” et les extérieurs sont anonymes, comme pour dénoncer la mondialisation. Le sens est surligné, paradoxalement flou, un terrain vague trop vaste et sans prise. Cela manque de fond et surtout d’écriture.
La mise en scène prometteuse demeure vaine. Enracinée dans le film de genre, elle s’égare dans des figures de style affectées. A savoir : un montage syncopé entre présent et passé – délaissé par la suite – , des bribes hallucinatoires, des paysages urbains désaffectés, tels des déserts encombrés, des chambres lépreuses. Elle sombre dans le glauque, avec cette couleur verte teintée de jaune qui qualifie désormais une ambiance délétère. Principal atout du film : la musique de Gabriel Yared, aux cordes dominantes, d’une mélancolie atmosphérique. Splendide, en phase avec l’image.
Ambiance, oui. Joan Chemla joue l’ambiance, mais ne se concentre que sur elle, oubliant le récit. Elle dénigre le temps, le rythme, se répétant, comme pour étirer un court-métrage : l’on s’ennuie. Un film peut exister sans intrigue, mais pas sans tenir le spectateur. D’autant que la trame a été vue mille fois. García Bernal est un fantôme. Même si cela correspond à son personnage, on ne s’accroche pas à lui. Marine Vacth (“Jeune et jolie”, “La Confession”, “L’Homme à la cervelle d’or”, court de Joan Chemla…) arrive trop tard et n’existe que par sa seule beauté : étonnant pour une metteuse en scène qui ne dirige qu’une seule actrice. Il en résulte un film bancal, au potentiel troublant, mais mal maîtrisé, ou qui a échappé à sa réalisatrice.